Assurance accident de la vie et suicide : inapplicabilité de l’article L. 132-7 du code des assurances


21/03/2023

Le caractère accidentel du décès constitue une circonstance qui, s’agissant de l’application d’un contrat d’assurance couvrant les accidents corporels, est une condition de la garantie. Dès lors le suicide n’est pas, sauf stipulation contraire, couvert par les contrats garantissant les accidents corporels, auxquels ce texte n’est pas applicable.

Vincent ROULET revient dans Dalloz Actualité sur une décision récente de la Cour de cassation :

Inutile de revenir en détail sur les difficultés que le suicide soulève en matière d’assurance décès. Soucieux de préserver la morale – le suicide demeure un homicide – comme l’économie de l’opération d’assurance, le législateur en chasse a priori la couverture et décide que « l’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort (…) » (C. assur., art. L. 132-7, al. 1er). Mais, attentifs aux sincères souffrances de l’âme, il cantonne l’exclusion de garantie à la première année du contrat pour obliger à la couverture de l’évènement dès la seconde (C. assur., art. L. 132-7, al. 2). Encore faut-il, pour que l’exclusion revête un sens et dispose d’une portée quelconque en tant que telle, que l’évènement accompli par le suicide – la mort – soit précisément l’objet de la garantie promise par l’organisme assureur. S’il advient que tel n’est pas le cas, que l’assureur n’est pas engagé à raison de tout décès mais seulement de celui intervenant dans des circonstances précises incompatibles avec la notion même de suicide, les dispositions de l’article L. 132-7 sont indifférentes.

Tel est en substance le sens de l’arrêt commenté. Les bénéficiaires d’un contrat d’assurance avaient agi contre l’assureur, lequel refusait sa garantie à raison du suicide de l’assuré intervenu dix années après la souscription. De manière laconique et apparemment rigoureuse, la cour d’appel (Grenoble, 6 avr. 2021, n° 18/00340) accueillit les demandes des bénéficiaires en se fondant sur les dispositions du second alinéa de l’article L. 132-7 du code des assurances. Elle ne prit garde cependant à l’objet exact du contrat en cause, un contrat dit « accidents de la vie » qui, quoique les termes n’aient pas été reproduits, couvrait apparemment les seuls accidents ayant emporté la mort, soit, pour reprendre les termes d’un contrat similaire proposé aujourd’hui par le même assureur, les accidents résultant « d’évènement soudains et imprévus, individuels ou collectifs dus à des causes extérieures » (SwissLife, Conditions générales du produit « Garantie des accidents de la vie », actuellement commercialisé). Devant la Cour de cassation, l’assureur se prévalut de cette définition pour prétendre que les dispositions de l’article L. 132-7 du code des assurances ne sont pas applicables aux assurances dites accidents corporels. Ceci tout simplement parce que le suicide, quoiqu’il emporte la mort, n’est pas un « accident » : il sesitue en dehors de la garantie promise.

Le suicide est hors de l’aire contractuelle

La Cour de cassation suit pas à pas le raisonnement de l’organisme assureur et casse la décision de la cour d’appel. Après avoir rappelé les termes de l’article L. 132-7, elle décide que « le caractère accidentel du décès constitue une circonstance qui, s’agissant de l’application d’un contrat d’assurance couvrant les accidents corporels, est une condition de la garantie », puis conclut que « le suicide n’est pas, sauf stipulation contraire, couvert par les contrats garantissant les accidents corporels ». Partant, l’article L. 132-7 ne leur est pas applicable. La solution ne surprend pas. Quoique le contentieux ne soit pas abondant sur la question, la solution est ancienne. Libres de ne pas assurer la mort, mais seulement l’accident, et libres de définir au contrat la notion d’accident qu’ils entendent couvrir, les assureurs y incluent unanimement un critère d’extériorité auquel la Cour de cassation donne plein effet s’il n’est pas contredit contractuellement par ailleurs. Cette unanimité est suffisamment grande pour que, si ce n’est dans la loi, à tout le moins dans la doctrine, l’« accident » trouve une définition quasi-officielle réunissant « une lésion ou une atteinte corporelle, une cause extérieure soudaine (et violente) et l’absence de lien direct avec la volonté de l’assuré » (D. Krajeski et P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Chap. 5112, Garantie des accidents, Dalloz Action, n° 5112.41) : « toute lésion de l’organisme, provoquée par l’action soudaine d’une cause extérieure et indépendante de la volonté de l’assuré ou du bénéficiaire » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, n° 1127). Le suicide dès lors, parce que procédant du seul fait – si ce n’est de la seule volonté ou de la seule conscience – de l’assuré est tout simplement extérieure à la couverture promise par l’organisme assureur : l’absence de prise en charge procède non d’une exception qui aurait été spécialement convenue (v. infra), mais directement du caractère étranger de ce risque par rapport au risque couvert. Dans les années 1980 déjà, la Cour de cassation, confrontée au suicide, avait exclu la garantie de l’assureur dès lors que la chute ayant entraîné la mort de l’assuré – chute dont était ignoré le caractère volontaire ou non – avait pour origine exclusive les troubles psychologiques dont était atteint l’assuré : parce qu’il n’y avait pas de cause extérieure à l’assuré, l’assureur n’était pas tenu, sans même qu’il soit nécessaire de s’interroger sur le caractère conscient ou inconscient du suicide (Civ. 1re, 17 nov. 1987, n° 86-11.916). Plus tard, elle avait admis que l’assureur engagé au titre d’une garantie accidentelle décès échappât à son obligation en rapportant la preuve du suicide de l’assuré (Civ. 1re, 14 mai 1991, n° 89-20.592). Si bien que la doctrine annonçait la solution énoncée dans l’arrêt commenté avec tant de clarté : est justifié le « rejet de la couverture au cas de suicide de l’assuré ou de mutilation volontaire » (D. Krajeski et P. le Tourneau, op. cit., n° 5112.55). Si rigoureuse que soit la solution dégagée par la Cour de cassation, elle ne manque pas de soulever deux interrogations de natures radicalement différentes.

Portée de la condition d’extériorité

Hors les cas de suicide, il n’est pas toujours aisé de décider, une fois constatée la lésion corporelle, si celle-ci procède d’une cause extérieure ou non. Le contentieux auquel ce point donne lieu paraît parfois sordide – il donne une « exécrable image de l’assurance dite « accident » (Rép. civ., v° Assurance de personnes vie – prévoyance, J. Kullmann) – et, en jurisprudence, fait difficilement l’objet d’une synthèse à raison de la diversité des « accidents » et du pouvoirsouverain reconnu à cet égard aux juges du fond (v. à ce propos, D. Krajeski et P. le Tourneau, op. cit., n° 5112.52). Ici, il sera considéré que le décès de l’assuré récemment déclaré apte à la pratique du football ne résulte pas d’un trouble cardiaque mais « dans la cause extérieure que constitue sa participation au match de football » (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-15.063) ; là, qu’une « glissade » dont le bénéficiaire n’établissait pas qu’elle « provenait de l’action soudaine et inattendue d’une cause extérieure » n’était pas couverte par le contrat (Civ. 2e, 23 oct. 2008, n° 07-16.409) ; là encore, que l’accident de la circulation causé par l’endormissement de l’assuré victime, par ailleurs, d’apnée du sommeil n’était pas provoqué, comme exigé au contrat, par une cause extérieure (Civ. 2e, 13 janv. 2012, n° 10-25.144).

Pratique contractuelle

La seconde difficulté a trait à la technique contractuelle Si précis soient-ils dans la définition contractuelle de l’accident, les organismes assureurs, certainement par sécurité, incluent unanimement dans la définition des exclusions, l’accident « résultant du suicide de l’assuré ou de sa tentative de suicide » (Swisslife, Conditions, préc.) ou « d’un suicide ou d’une tentative de suicide » (Matmut, Contrat « multirisques accidents de la vie). Ils ne sauraient être blâmés d’informer de la sorte les preneurs d’assurance ; ils commettent cependant une erreur logique dès lors qu’il est admis que l’« exclusion » vise, au sein d’un ensemble de risques couverts, à en sortir quelques-uns : l’exclusion est l’exception à la couverture décidée a priori. Or, précisément, si le suicide n’est, par nature, pas inclus dans la garantie, il ne saurait être l’objet d’une exclusion. À le reconnaître comme tel, l’assureur prend donc le risque, certes très limité, que les bénéficiaires n’entendent lui voir appliquer le régime classique prévu à l’article L. 132-7 du code des assurances.