La sécurisation des pratiques des cotisants


05/12/2022

Vincent ROULET revient sur la volonté du BOSS d'assurer l'accessibilité et l'opposabilité de la doctrine sociale.

Le Bulletin officiel de la sécurité sociale est une belle œuvre de codification. Elle en épouse les objectifs en même temps qu’elle les réalise : assurer l’accès à la norme et en permettre l’opposabilité.

La passion du grand public pour la question des cotisations de sécurité sociale est toute relative. Le sujet est celui des spécialistes, de ceux qui jouissent du maniement de la norme technique et se plaisent, avec plus ou moins de réussite, à dégager quelque horizon dans un sac obscur de nœuds . Le recouvrement mérite mieux  : les enjeux sont immenses, à la hauteur de l’ambition intellectuelle d’une présentation raisonnée de ses règles. Les cotisations de sécurité sociale, y compris la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale  (CRDS), représentent près de 80 % du budget de la sécurité sociale, soit… quelques dizaines de milliards d’euros de plus que le budget de l’État (le droit fiscal est bien peu de chose !). À l’importance macroéconomique des cotisations de sécurité sociale, répond leur poids dans les revenus de chacune des personnes, physiques et morales, qui composent la Nation. Définir puis diffuser une norme accessible et sécurisante est une œuvre noble. Il faut une règle de droit pertinente ; il faut une règle de droit claire et efficace, c’est-à-dire, accessible et opposable.

Voilà un beau terrain de jeu. Peu importe l’objet de la règle finalement, seule compte la construction intellectuelle au moyen de ces briques, certes petites ou difformes :

– créer des règles et en peser les conséquences pour les comptes publics et pour chacun des acteurs (employeurs, salariés, caisses de sécurité sociale…) ;

– les ordonner, dans un système cohérent ;

– s’assurer de leur diffusion pour en renforcer l’effectivité et la prévisibilité… et pour en améliorer l’acceptabilité aussi.

Qu’importe que ces normes-là aient pour objet des chiffres ! Qu’importe que leur application se traduise dans cette fort peu séduisante fiche de paye. Le travail intellectuel est bien un travail juridique et c’est le plus noble de tous : une codification.

L’œuvre tarda à se réaliser  ; il y avait des faux-semblants. La sécurité sociale avait son code, code qui, en tant que tel, est réputé satisfaire l’essentiel : la nature légale ou réglementaire de la norme en assure l’opposabilité ; la codification en garantit l’accès. Mais l’Administration ne tenait pas son rôle. Comme en matière fiscale, au prétexte de l’exécution du droit, elle s’élevait en législateur. Soit par débordement naturel (mais condamnable), soit par souci sincère d’accompagner ses agents voire le public, elle interprétait le « vrai » droit et, sous couvert de l’interprétation – quelle surprise ! –, elle complétait, amendait, créait. La passion du droit l’avait saisie ; y compris d’ailleurs après que le Bulletin officiel de la sécurité sociale (BOSS) fut achevé, elle succombait encore : oh ! une instruction ministérielle improbable qui prolonge (en dehors de tout cadre légal) des dispositions législatives éteintes !

L’appétence de l’Administration pour la création du droit produit quelques conséquences néfastes.

De  facto, si ce n’est de  jure, elle rabaisse l’administré – alors que tous deux, ab initio, en sont également destinataires ; de facto encore, elle est la plus évidente source de l’inflation normative : il y avait la loi et le règlement ; il y a en plus la doctrine administrative… Ce n’était pas tout. Un premier effet pervers supplémentaire tenait à la diversité de l’« Administration » en matière de sécurité sociale : l’État – la direction de la sécurité sociale –, feue l’Acoss (devenue l’URSSAF Caisse Nationale) voire chacune des caisses concernées (par les lettes d’observations et les rescrits) développaient leurs doctrines au fil des redressements. Et rien ne commandait qu’un acteur fut tenu par la parole des autres  ; la Cour de cassation refusait de dire les URSSAF liées par les instructions de l’Acoss : « L’instruction n’est pas créatrice de droit et ne saurait restreindre ceux que tiennent de la loi les organismes de recouvrement  ». Tant pis pour le cotisant qui croyait aux présents des Grecs. Plus prosaïquement, les positions administratives étaient éparpillées. Telle loi nouvelle donnait lieu à une circulaire  ; le droit changeait plus tard et voilà qu’une nouvelle circulaire commentait les seuls changements, si bien qu’il était impossible au jeune profane, à celui qui n’avait pas l’histoire de la doctrine administrative en tête, de reconsolider celle-ci au moment opportun. Le constat fait, les voies se dessinaient mais furent longues à tracer. Une première piste consistait à réduire le nombre des auteurs de la norme, une seconde à consolider la doctrine administrative en la rassemblant dans des corpus cohérents et une troisième à conférer une portée particulière à ces « petites normes ». Depuis les années 2000, le chemin fut suivi, timidement et avec des accrocs, mais avec une certaine constance. L’Acoss se soumit à la direction de la sécurité sociale : elle se contenta de diffuser les circulaires ou n’intervint qu’en aval, comme commentateur de la doctrine ministérielle. La direction de la sécurité sociale, parfois avec l’aide de la direction générale du travail, émit des circulaires thématiques couvrant l’ensemble d’un sujet. Enfin, la loi et le juge reconnurent à la doctrine administrative une relative portée juridique. D’un côté, l’article L. 243-6-2 du Code de la sécurité sociale permit au cotisant de se prévaloir contre l’Administration des dispositions de certaines circulaires. De l’autre, le Conseil d’État accueillit les recours pour excès de pouvoir contre la prose de l’Acoss et ouvrit la saisine du Conseil Constitutionnel via la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à titre préventif, c’est-àdire avant que fût décidé un redressement. Demeurait à toucher au but. S’élancer, c’est ce qui fut fait par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 ; celle-ci prévoyait ....

La suite de l'article à retrouver dans le Bulletin Joly Travail de décembre 2022 pour les abonnés.