Covid-19, un an après : « Le télétravail a mis en évidence l’obsolescence des moyens d’action syndicaux traditionnels » - Guillaume Brédon


15/03/2021

Guillaume Brédon met en garde, dans une tribune au « Monde », sur le risque que l’éclatement du collectif de travail fait courir aux organisations syndicales qui n’auront pas adapté leurs pratiques à cette nouvelle donne.

Il est permis de penser que les effets de la crise sanitaire actuelle transformeront durablement les organisations du travail dans les entreprises. A l’occasion de cette pandémie et du recours imposé au télétravail, employeurs et salariés ont découvert que bon nombre de fonctions pouvaient être effectuées à distance, différemment, sans nuire pour autant à leur productivité.

Les écarts de compétitivité entre les entreprises qui auront maintenu tout ou partie de leur activité à distance à l’aide des nouvelles technologies et celles qui n’auront su ou pu le faire se seront accrus à cette occasion. Dans un mouvement darwiniste sans précédent, la crise aura favorisé les entreprises agiles, réactives, technologiques. Elle balaiera celles qui étaient à la traîne sur ces aspects, par manque de connaissance et de clairvoyance de leurs dirigeants, ou par manque de moyens. Mais qu’en est-il du côté des organisations syndicales ?

Avec la pérennisation probable du télétravail, au moins partiel, le mouvement déjà observé avant la crise vers un éclatement du collectif de travail mettra en évidence l’obsolescence des moyens d’action syndicaux traditionnels : distribution de tracts, réunions syndicales physiques, piquets de grève… Ce phénomène entretenu par la désuétude de certains textes applicables (les communications syndicales doivent par exemple toujours être « affichées » sur des « panneaux réservés à cet usage » et les tracts distribués aux heures d’entrée et de sortie au travail…) sera-t-il endigué par la négociation d’entreprise sur le dialogue social ?

En application de la loi travail (El Khomri) du 8 août 2016 (article L. 2142-6 du code du travail), les partenaires sociaux peuvent moderniser leur pratique et définir les conditions et modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise. A défaut d’accord, les organisations syndicales peuvent mettre à disposition leurs publications sur un site syndical accessible à partir de l’intranet de l’entreprise lorsqu’il existe.

Le recours au vote électronique est également possible par accord d’entreprise (L. 2314-26 du code du travail) tandis que les réunions du comité social et économique (CSE) peuvent toutes être organisées virtuellement par accord et, à défaut d’accord, au minimum trois fois par an. Avant la crise, les syndicats étaient majoritairement réfractaires à l’utilisation de ces nouvelles technologies. Ils préféraient le contact direct tant avec leurs collègues qu’avec la direction. Par la force des choses, les pratiques semblent évoluer progressivement. Au niveau interprofessionnel, les partenaires sociaux ont désormais pris conscience de la nécessité d’une évolution en la matière.

Dans l’accord interprofessionnel du 26 novembre 2020 relatif au télétravail, bien qu’ils rappellent dans un premier temps que l’organisation des réunions sur site demeure préférable, ils s’accordent sur le constat que « le développement du télétravail régulier, occasionnel ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure nécessite d’adapter les conditions de mise en œuvre du dialogue social dans l’entreprise ».

En sera-t-il de même au niveau des branches et des entreprises ? Rien n’est moins certain tant les freins paraissent importants et les vieux réflexes pérennes. Il semble pourtant qu’il soit dans l’intérêt de tous d’apprivoiser ces nouvelles façons de communiquer et de se réunir afin de maintenir un sentiment d’appartenance à l’entreprise, un semblant de collectif, fût-ce de façon virtuelle. Si les organisations syndicales ne le comprennent pas vite au niveau de l’entreprise, elles seront sans aucun doute « ubérisées » par de nouvelles formes de représentation des salariés. Des négociations sur les nouvelles formes du dialogue social dans l’entreprise tenant compte de ces évolutions nous semblent par conséquent devoir être amorcées rapidement.

Dans le cas où les syndicats n’en comprendraient pas immédiatement l’utilité et ne solliciteraient pas spontanément leur ouverture, ce sera aux DRH de préempter ces sujets et d’en prendre l’initiative. Cette situation pourrait d’ailleurs sans doute être l’occasion de mettre sur la table des négociations, dans le cadre d’accords « gagnant-gagnant », d’autres thèmes de nature à fluidifier les relations sociales, tels que par exemple la périodicité des consultations récurrentes du CSE ou le contenu et la périodicité des sujets devant être abordés dans le cadre des négociations annuelles.

La pérennisation souhaitée par beaucoup d’entrepreneurs et de salariés des nouvelles formes de travail sera d’autant mieux acceptée et bien vécue par les syndicats que les entreprises auront su leur permettre de maintenir un lien avec leurs électeurs. A défaut, il est fort probable que la désyndicalisation du pays s’accélère encore, chacun ayant son opinion sur les avantages et inconvénients de cette situation.

L’intégralité de l’article est disponible dans Le Monde.