En matière de PSE, les entreprises doivent s’assurer que les OS signataires de l’accord respectent le critère de transparence financière


02/05/2022

Perrine LAJEUNESSE et Guillaume BREDON commentent la décision du Conseil d'Etat du 6 avril 2022

 Contrairement à ce qu’il est donné de penser, la conclusion d’un accord collectif portant sur le plan de sauvegarde de l’emploi n’est pas toujours gage de sécurité juridique.

Les décisions des juridictions administratives rendues ces derniers mois le confirment. L’accord portant plan de sauvegarde de l’emploi conclu au sein de la Fédération française de football a, par exemple, été annulé au motif que la Directrice générale déléguée de la Fédération ne pouvait engager cette dernière[1].

Si le contrôle de l’Administration quant à la régularité de l’accord portant sur le plan de sauvegarde de l’emploi s’avère plus restreint que le contrôle devant être effectué en cas de décision unilatérale, il n’en demeure pas moins que les motifs d’annulation de l’accord restent nombreux et appellent à une vigilance constante de la part des entreprises.

L’arrêt rendu par le Conseil d’état le 6 avril 2022 en est une nouvelle illustration.

Un accord collectif de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi conclu entre la société Imprimerie du Midi et deux organisations syndicales, FILPAC-CGT Midi Libre (ayant obtenu 80 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles) et FO (ayant obtenu 20 % des suffrages exprimés), a été validé par le DREETS[2].

Un salarié et une autre organisation syndicale ont saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation de cette décision de validation.

Ils faisaient notamment valoir que l’une des organisations syndicales signataires, FILPAC-CGT Midi Libre, ne respectait pas les critères de représentativité fixés par la loi dans la mesure où elle ne remplissait pas le critère de transparence financière faute d’avoir satisfait au respect de l’obligation de publicité de ses comptes.

Bien que l’organisation syndicale FILPAC-CGT Midi Libre ait recueilli plus de 50 % des suffrages au premier tour des dernières élections professionnelles, les requérants en déduisaient que l’accord relatif au plan de sauvegarde de l’emploi ne respectait pas la condition de validité fixée par la loi[3].

Cet argumentaire n’a pas convaincu le tribunal administratif qui a rejeté les demandes des requérants.

Ces derniers ont, en revanche, eu plus de succès en cause d’appel.

La Cour administrative d’appel de Marseille a, en effet, accueilli cet argumentaire et a ainsi annulé la décision de validation de l’accord du DREETS.

Saisi de l’affaire, le Conseil d’état a confirmé cette décision.

Selon la Haute juridiction administrative il appartient à l’administration, notamment en application de l’article L. 1233-24-1 du Code du travail, lorsqu’elle est saisie d’une demande de validation d’un accord collectif portant plan de sauvegarde de l’emploi, de vérifier que cet accord a bien été signé pour le compte d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l’entreprise.

Si le Conseil d’état avait déjà été amené à juger que le caractère majoritaire de l’accord et la qualité de ses signataires entraient dans le champ du contrôle de l’administration[4], la question restait entière s’agissant du contrôle du respect des critères de représentativité définis à l’article L. 2121-1 du Code du travail.

Le Conseil d’état considère, dans cet arrêt, que la vérification de ces critères relève de son contrôle.

Il a, sur ce point, suivi les conclusions du rapporteur public, selon lequel ce contrôle ressort tant de la lettre de l’article L. 1233-24-1 du Code du travail, qui exige que l’accord collectif soit signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives – ce qui implique de vérifier que ces organisations sont bien représentatives – que de celle de l’article D. 1233-14-1 du Code du travail, selon lequel le dossier de demande de validation doit comporter les informations relatives à la représentativité des organisations syndicales signataires[5].

Il s’agit également, toujours pour le rapporteur public, de l’esprit des textes : le contrôle du caractère représentatif des organisations signataires serait nécessaire dans la mesure où c’est « parce qu’elles sont représentatives des salariés de l’entreprise que l’accord [que les organisations syndicales signent] entraîne un tel contrôle minimal de l’administration, au nom de la confiance faite aux partenaires sociaux ». Or, « cette représentativité passe bien sûr par le critère de l’audience électorale »5.

Pour le Conseil d’état, le DREETS doit ainsi vérifier que les syndicats signataires satisfont aux critères de représentativité, et notamment celui relatif à la transparence financière, et ce, peu important que leur représentativité n’ait pas été contestée devant le juge judiciaire à l’occasion du contentieux relatif aux élections professionnelles.

Le critère de transparence financière résulte du respect de l’obligation d’établissement et de publicité des comptes, étant précisé que les obligations imparties aux syndicats dépendent du niveau de leurs ressources annuelles.

En l’espèce, le syndicat FILPAC-CGT Midi-Libre enregistrait des ressources annuelles inférieures à 230.000 euros. Il devait ainsi établir ses comptes annuels sous la forme d’un bilan, d’un compte de résultat et d’une annexe simplifiée, avec la possibilité de n’enregistrer ses créances et ses dettes qu’à la clôture de l’exercice[6]. Ces documents comptables doivent faire l’objet d’une publication : au regard de ses ressources annuelles du syndicat FILPAC-CGT, cette publication pouvait être effectuée soit sur son site internet, soit, à défaut de site internet, auprès de la DREETS[7].

Or, ce syndicat n’avait pas publié sur son site internet ses comptes de résultats simplifiés et le tableau annexe de ses ressources, et ne soutenait, par ailleurs, pas avoir mis en œuvre une mesure de publicité équivalente, comme pourtant permis par la jurisprudence[8].

En définitive, le Conseil d’Etat rejette les pourvois et, ce faisant, approuve l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille ayant annulé la décision de validation de l’accord portant plan de sauvegarde de l’emploi en raison de l’absence de représentativité du syndicat majoritaire l’ayant signé, du fait du non-respect du critère de transparence financière.

Si une telle décision peut s’expliquer au regard des textes applicables, il n’en demeure pas moins que la sanction – annulation de la décision de validation de l’accord collectif – est particulièrement sévère pour l’employeur qui subira les conséquences de l’absence de contrôle – ou du mauvais contrôle – de l’administration sur une obligation reposant sur les organisations syndicales.

Il importe, en effet, de rappeler que l’annulation de la décision de validation, pour une cause autre que l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi, entraîne l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements prononcés en application de cette décision et, à défaut de réintégration – qui ne peut être imposée à l’employeur – l’octroi aux salariés d’une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois[9].

In fine, c’est l’employeur qui sera donc redevable des indemnités aux salariés.

Cette situation peut être rapprochée de celle relative à l’absence de contrôle par l’administration du caractère suffisant du plan de sauvegarde de l’emploi au regard du bon périmètre du groupe de moyens, en cas de décision d’homologation.

En application de l’article L. 1233-57-3 du Code du travail, l’administration doit vérifier le contenu du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l’emploi en fonction des moyens du groupe auquel appartient l’entreprise. Il lui appartient, pour ce faire, de déterminer correctement le périmètre du groupe de moyens. Si l’administration commet une erreur dans cette étape préalable, la décision d’homologation est entachée d’illégalité et est ainsi annulée[10].

Dans ces deux hypothèses, l’employeur subit donc les conséquences d’une carence de l’administration dans le cadre de son contrôle.

Cette situation est d’autant plus préjudiciable que si, en théorie, l’employeur peut engager la responsabilité de l’Etat afin d’obtenir la réparation du préjudice subi, constitué par les sommes qui seraient versées en exécution des condamnations prud’homales, la mise en œuvre de cette responsabilité s’avère, en réalité, difficile.

En principe, depuis 1973, toute illégalité d’une décision de l’administration constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat[11].

La possibilité de mettre en œuvre cette responsabilité est toutefois fonction du degré de gravité de la faute : dans certains domaines, une faute simple suffit, tandis que dans d’autres, il s’avère nécessaire de caractériser une faute lourde.

Ainsi, le Conseil d’Etat a admis que la démonstration d’une faute simple était suffisante s’agissant de la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat en matière d’autorisation de licenciement des salariés protégés[12]. Tel est également le cas s’agissant du défaut de contrôle du respect des mesures de protection contre l’amiante par l’inspection du travail[13].

Si le Conseil d’Etat ne s’est, à notre connaissance, jamais positionné sur les modalités de l’engagement de la responsabilité de l’Etat en cas d’annulation d’une décision de validation d’un accord collectif ou d’homologation d’une décision unilatérale portant plan de sauvegarde de l’emploi, il résulte de l’analyse des quelques décisions des juges du fond rendues sur le sujet qu’une faute lourde de l’administration serait nécessaire.

C’est, en effet, ce qu’ont jugé les Tribunaux administratifs de Montreuil[14], de Nîmes[15] et de Cergy-Pontoise[16].

Il importe de relever que, dans l’affaire ayant donné lieu au jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le rapporteur public concluait pourtant à ce que le régime de responsabilité retenu soit celui de la faute simple, arguant notamment du fait que « la procédure est suivie en amont par l’administration, qui est informée dès le stade de l’ouverture de celle-ci », de telle sorte que le délai dans lequel la DREETS doit rendre sa décision ne peut plaider pour un régime de responsabilité pour faute lourde, et que le contrôle de l’administration ne saurait être qualifié de complexe[17].

A notre connaissance, une seule juridiction a admis que la faute simple de l’administration était suffisante pour engager la responsabilité de l’Etat[18].

Retenir une faute lourde s’avère d’autant moins justifié que celle-ci, comme condition d’engagement de la responsabilité de l’Etat, n’est plus réservée qu’à un petit nombre d’hypothèses[19].

Surtout, réserver la mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat à la caractérisation d’une faute lourde de l’administration revient, dans cette situation, à une double peine pour l’employeur, qui subit outre les dégâts en termes de communication et de relations sociales internes résultant de l’annulation de la décision de l’administration, les conséquences financières de cette dernière sans pouvoir obtenir, de la part de l’Etat, le remboursement des sommes versées.

Ces situations ubuesques imposent de réfléchir à d’autres conséquences en cas de carence de l’administration et des organisations syndicales conduisant le Juge administratif à annuler une décision de validation ou d’homologation.

Ne faudrait-il pas, dans cette hypothèse, envisager une reprise de la procédure de validation ou d’homologation dans un délai limité, de façon à permettre à l’administration, après avoir effectué le contrôle nécessaire, de rendre une nouvelle décision ?

Une telle solution semblerait d’autant plus opportune que la loi prévoit un mécanisme similaire en cas d’annulation d’une décision de validation ou d’homologation pour insuffisance de motivation. L’autorité administrative doit, en effet, dans cette situation, prendre une nouvelle décision suffisamment motivée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement[20].

Dans cette situation, l’annulation de la première décision d’homologation est sans incidence sur la validité des licenciements et ne peut pas donner lieu à réintégration ou au versement d’une indemnité aux salariés licenciés.

Une alternative doit, en tout état de cause, être trouvée afin d’éviter que les entreprises ne se retrouvent sans marge de manœuvre dans une situation dans laquelle rien ne peut, en définitive, leur être reproché.

[1] TA de Paris, 10 décembre 2021, n°2119397.

[2] Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

[3] Article L. 1233-24-1 du Code du travail selon lequel un accord déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au CSE.

[4] CE, 22 juillet 2015, n°385668.

[5] Le critère de transparence financière dans le champ du contrôle de l’administration d’un accord collectif portant PSE, Raphaël CHAMBON, Rapporteur public au Conseil d’état, Semaine Sociale Lamy, n°1997, 25 avril 2022.

[6] Article D. 2135-3 du Code du travail.

[7] Article D. 2135-8 du Code du travail.

[8] Cass. soc., 17 octobre 2018, n°17-19.732.

[9] Article L. 1235-16 du Code du travail.

[10] CE, 24 octobre 2018, n°397900 et 406905.

[11] CE, 26 janvier 1973, n°84768.

[12] CE, 21 mars 1984, n°41064 ; CE, 29 juin 1990, n°78088.

[13] CE, 18 décembre 2020, n°437314.

[14] TA Montreuil, 21 mars 2017, n°1506778.

[15] TA Nîmes, 21 février 2019, n°1701866.

[16] TA de Cergy-Pontoise, 16 juin 2020, n°1707765.

[17] Responsabilité du fait de l’illégalité de la validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi, Céline GARNIER, AJDA 2020, p. 2332.

[18] TA de Bordeaux, 30 juillet 2020, n°1804311. Il importe de noter que, dans cette affaire, la société avait saisi la juridiction administrative aux fins d’engager la responsabilité de l’Etat à la suite de l’annulation d’une décision de refus d’homologation d’une décision unilatérale portant plan de sauvegarde de l’emploi. La société sollicitait ainsi la réparation de son préjudice lié à l’allongement de la période de versement des salaires, l’allongement de la période d’activité de l’Antenne emploi, le surcoût lié à l’amélioration des mesures prises pour obtenir l’homologation du PSE et le surcoût lié à l’allongement de l’ancienneté des salariés licenciés.

[19] Responsabilité de l’Etat en cas de validation illégale d’un PSE, Stéphane BROTON, Semaine Sociale Lamy, 15 février 2021 ; PSE et régime de responsabilité de l’Etat, Michaël PERCHE, AJDA 2021, p. 1896.

[20] Article L. 1235-16 alinéa 3 du Code du travail.