Grand entretien sur la réforme du droit du travail


11/10/2022

A retrouver dans le n°1594 du 10 au 16 octobre 2022 d'Entreprise & Carrières 

Directeur de l’observatoire Droit du travail de l’Institut Sapiens, un think tank libéral, l’avocat Guillaume Brédon a publié récemment une série de propositions pour réformer le droit du travail. Au programme: la réduction des normes (tout en maintenant les droits sociaux), la responsabilisation des acteurs, la démocratisation et la simplification des instances représentatives du personnel.

Pourquoi faut-il, selon vous, poursuivre la réforme du droit du travail ?

Parce que la finalisation des réformes permettrait de parvenir au plein-emploi que le président de la République et la Première ministre considèrent à portée de main au cours de ce quinquennat. Entamée en 2008 avec la loi Fillon, qui a profondément réformé le temps de travail et la représentativité des organisations syndicales en entreprise, la réforme du droit du travail a été poursuivie par la retentissante loi Travail du 8 août 2016 portée par Myriam El Khomri et amplifiée en 2017 avec les ordonnances Macron. Celles-ci ont simplifié les instances représentatives du personnel et sécurisé les procédures de licenciement, mais cet élan mérite d’être poursuivi. En effet, sans qu’il soit possible de mesurer parfaitement la portée économique de ces réformes, il ne fait aucun doute qu’elles ont joué dans l’appréciation de l’attractivité de la France qu’ont les principaux investisseurs. Depuis 2018, l’Hexagone est, selon le Baromètre EY 2021, en tête en ce qui concerne le nombre d’investissements étrangers en Europe. Alors que les perspectives économiques sont incertaines, il s’agit de conforter la dynamique instaurée ces dernières années.

Que recommandez-vous concernant les instances représentatives du personnel ?

La France doit d’abord démocratiser et simplifier son système de représentation du personnel. Le faible taux de syndicalisation et le manque de crédibilité des organisations syndicales rendent le dialogue social inefficace et contribuent à l’insécurité juridique des employeurs. Pour sortir de cette impasse, il convient de généraliser la démocratie directe dans l’entreprise en facilitant la présentation de listes non syndiquées au premier tour des élections professionnelles. La nécessaire simplification passe aussi par la généralisation des conseils d’entreprise (CE) découlant de la fusion des CSE (comités sociaux et économiques) et des délégués syndicaux. Cette instance unique serait dotée d’un budget unique fondé sur la masse salariale de l’entreprise avec lequel elle financerait toutes les expertises ainsi que les activités sociales et culturelles. La possibilité de conclure par référendum ou par le CE tous types d’accords collectifs, et ce, qu’il y ait ou non des syndicats dans l’entreprise, valoriserait la démocratie directe, un système profitable tant pour les employeurs que pour les salariés. Il faudrait par ailleurs limiter les mandats des représentants du personnel à trois successifs et à 30 % de leur temps de travail, afin d’éviter leur désinsertion professionnelle. Il est toujours curieux d’entendre des élus s’exprimer au nom de leurs collègues alors qu’ils n’ont plus exercé concrètement leurs fonctions depuis des années et qu’ils n’ont plus de contact avec la réalité de l’entreprise. C’est ce qui explique dans bien des cas le défaut de légitimité des syndicats aux yeux des salariés et le désintérêt de ces derniers à l’égard des élections professionnelles.

Les élus de tous bords se plaignent pourtant de manquer déjà de temps et de moyens…

Dans les entreprises que je conseille, je ne remarque pas ce phénomène. Les heures de délégation dont disposent les représentants du personnel ne sont pas toujours utilisées. Les modalités de mutualisation des heures de délégation entre représentants du personnel non plus. Il existe par ailleurs la possibilité de bénéficier de moyens supplémentaires lorsque les circonstances le justifient. Je ne pense donc pas qu’il s’agisse d’un problème de moyens.

Pourquoi faut-il réformer le cadre juridique des CDD ?

L’intérêt de cette réforme, toujours laissée de côté depuis l’échec du contrat nouvelle embauche (CNE), s’est encore accru dernièrement. Tout y concourt : l’avènement des nouvelles formes de travail, la précarisation des travailleurs des plateformes et les aspirations des jeunes plus réticents à l’idée de s’engager sur le long terme. Il faut donc aller vers des contrats offrant à la fois plus de flexibilité et de sécurité. Dans sa forme actuelle, la législation du CDD est trop complexe et incite les employeurs à recourir à des pseudo-indépendants (travailleurs des plateformes, par exemple), maintenant cette population dans une précarité encore plus forte. On peut donc envisager une simplification du régime des CDD avec une meilleure protection en contrepartie. Concrètement, je propose de fusionner tous les CDD en un seul contrat à objet défini (COD) qui pourra prendre la forme d’un contrat conclu pour accomplir une mission – quelle qu’en soit sa durée (réalisation d’une tâche particulière) et/ou d’un contrat convenu pour une durée déterminée (reprenant globalement le principe du CDD actuel). Ce nouveau régime supprimerait par ailleurs les délais de carence et la limitation du nombre de CDD conclus avec un même salarié. En contrepartie, le salarié en COD aurait droit à un système de cautionnement des prêts immobiliers et des loyers, financé par les branches qui ont fortement recours au travail précaire. Il percevrait par ailleurs une indemnité de précarité, qui augmentera en fonction de sa longévité dans l’entreprise. Cette indemnité incitera financièrement les employeurs à basculer les COD en CDI au-delà d’une certaine durée, le salarié en COD coûtant progressivement de plus en plus cher.

Et quels changements peut-on envisager pour le CDI ?

Il faut garantir une meilleure sécurisation des ruptures de CDI. Les parties pourraient ainsi déterminer, dès la conclusion du contrat ou en cours d’exécution par la voie d’avenants, les causes de rupture du lien contractuel qui les unit. En cas de survenance de l’une des causes, le licenciement du salarié serait nécessairement bien fondé. Imaginez par exemple qu’un salarié soit embauché comme chauffeur. Les parties conditionnent l’exécution du contrat à la détention, par ce dernier, de son permis de conduire. La perte du permis constituerait alors une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Vous proposez par ailleurs d’adapter le Code du travail aux évolutions de l’environnement économique…

Aujourd’hui plus qu’hier, les entreprises et leurs salariés sont confrontés aux aléas de la vie des affaires. Une harmonisation des procédures de licenciement économique qui varient selon le motif (personnel, économique, inaptitude), la taille de l’entreprise et le statut du salarié (protégé ou non) s’impose. Une procédure unique permettrait de concilier simplification et égalité de traitement entre tous les actifs.

Pourquoi tenez-vous à supprimer le statut de salarié protégé qui met les élus à l’abri des pressions quand le climat social se tend ?

J’observe dans beaucoup d’entreprises que certains représentants du personnel développent un sentiment d’impunité totale parce qu’ils bénéficient de la protection liée à leur mandat et pensent pouvoir tout se permettre. Ces attitudes, heureusement minoritaires, nuisent énormément à l’image du syndicalisme que peuvent avoir les employeurs, mais également les salariés. Nier cette réalité, c’est se voiler la face. En compensation de la suppression de la procédure d’autorisation préalable, je propose donc d’accroître les sanctions en cas de licenciement discriminatoire de façon à les rendre dissuasives. Subsidiairement, on pourrait limiter le contrôle de l’inspection du travail au seul lien entre le mandat de représentant du personnel et le projet de licenciement.

Pourquoi recommandez-vous d’assouplir encore le dispositif des 35 heures ?

Depuis 2000, plusieurs lois ont été votées (2003, 2005, 2007 et 2008) en ce sens. Si nombre d’entreprises recourent à l’annualisation du temps de travail, au forfait jours et au compte épargne-temps, rares sont celles qui s’organisent sur une base horaire supérieure. Ce qui limite leur capacité à répondre aux pics de production ou aux aspirations des salariés qui désirent travailler plus pour gagner plus. Au vu de ce constat, il paraît souhaitable d’augmenter le contingent annuel réglementaire (à défaut d’accord) à 400 heures par an et de permettre aux employeurs de déroger aux contingents conventionnels dès lors que des emplois demeurent non pourvus.

Vous en appelez enfin à un encadrement du droit de grève…

Nous estimons nécessaire l’extension aux transports et à l’énergie d’un véritable service minimum. Et préalablement à tout arrêt de travail, il faut rendre obligatoire dans tous les secteurs, y compris dans le privé, une période de préavis de cinq jours calendaires afin de permettre aux parties de négocier et de favoriser ainsi le règlement des conflits, conformément à l’article 6 de la Charte sociale européenne. S’impose aussi la généralisation de l’obligation pour tous les salariés désireux de participer à un mouvement de grève d’en informer leur employeur au moins 48 heures avant l’arrêt de travail, afin que les usagers et clients puissent être informés du mouvement et ne soient pas pris en otage. Ces changements n’affecteront pas les droits fondamentaux des salariés, mais amélioreront l’image de la France auprès des investisseurs internationaux. Car nous aurons besoin de ces derniers pour faire face à un éventuel retournement brutal de conjoncture. Et puis, les libertés de circuler, de travailler et d’entreprendre sont aussi respectables que le droit de grève et de manifester…