Indemnités transactionnelles


31/05/2022

Vincent Roulet commente la décision de la Cour de cassation du 17 février 2022 sur le traitement social des indemnités transactionnelles 

Les indemnités transactionnelles destinées à compenser un manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail indemnisent un préjudice et n'entrent pas dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale.

Cass. 2e civ., 17 février 2022, no 20-19516

Sujet «  bateau  » mais important, le sort social et fiscal des indemnités de rupture et, par extension, des indemnités transactionnelles n’est toujours pas épuisé. Sans qu’il soit question d’un déluge de nouveautés, chaque saison apporte son lot de précisions judiciaires ou d’ajustements administratifs. Avec un peu d’avance – certainement due au réchauffement climatique –, la Cour de cassation livrait en février dernier sa production du printemps, production dont la substance était escomptée mais qui n’avait qu’exceptionnellement été affirmée.

Des salariés avaient engagé à l’encontre de leur employeur une action en résiliation judiciaire de leur contrat de travail. Le grief imputé à l’employeur tenait au manquement de celui-ci à ses obligations en matière de sécurité et de santé, les salariés ayant été, selon leurs dires, privés d’une fraction de leurs temps de repos minimum, en même temps qu’ils avaient souffert de violations de la réglementation sur les congés payés. En cours de procédure, les parties se rejoignirent néanmoins ; elles soldèrent leurs différends dans le cadre d’une transaction. En contrepartie des indemnités servies, les salariés renonçaient à l’action engagée sur l’imputabilité de la rupture et en vue de la réparation des préjudices subis. Opportuniste ou avisé, l’employeur ne soumit pas lesdites indemnités aux cotisations de sécurité sociale ; l’URSSAF redressa, puis se heurta à la cour d’appel qui, considérant que les sommes versées avaient un caractère indemnitaire, approuva l’employeur en suivant manifestement la jurisprudence maladroite de la Cour de cassation aux termes de laquelle « les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail autres que les indemnités mentionnées au dixième alinéa [de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale] sont comprises dans l’assiette de cotisations de sécurité sociale, sauf pour l’employeur à rapporter la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice ».

L’URSSAF ne se tint pas à cet échec. Sans remettre en cause le principe selon lequel l’indemnité transactionnelle réparant un préjudice est exonérée de cotisations de sécurité sociale, elle fit d’abord valoir que l’indemnité ne compensait pas seulement un tel préjudice mais couvrait également nécessairement des rappels de salaire. S’appropriant la jurisprudence de la Cour de cassation, elle fit ensuite valoir qu’il incombait à l’employeur de rapporter la preuve du caractère indemnitaire des sommes versées – ce qui, en l’espèce, n’était pas fait.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi, au moyen d’une argumentation peu surprenante au premier coup d’œil mais qui mérite davantage d’attention : étant établie la commune intention des parties d’indemniser, à l’occasion de la transaction, les salariés pour le manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail, les juges du fond ont valablement décidé que l’indemnité transactionnelle ne constituait pas un élément de rémunération mais compensait un préjudice pour les salariés, et déduit que les sommes en cause n’entraient pas dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale.

Plusieurs points. En premier lieu, la Cour de cassation confirme la ventilation tripartite de principe qui s’applique aux indemnités transactionnelles. Il y a les indemnités en lien avec la rupture suivant le régime spécifique fixé au 7° de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, celles compensant du salaire, assujetties à cotisations en application du premier alinéa de ce même article, et celles réparant un préjudice moral (v. infra sur ce point), intégralement exonérées. La solution n’est pas nouvelle ; rares sont cependant les décisions qui la confirment. Or les règlements amiables de litiges nés à l’occasion d’un licenciement intègrent fréquemment la réparation de ces trois types de préjudice : il ne peut qu’être conseillé, en dépit du présent arrêt (v. infra également), de ventiler expressément ces chefs de réparation dans les actes mettant fin aux différends.

En deuxième lieu, d’un point de vue notionnel, la Cour de cassation refuse encore de qualifier le « préjudice » dont la réparation est exonérée de cotisations de sécurité sociale. Elle est en cela fidèle à sa jurisprudence, constance qui n’interdit toutefois pas de penser qu’elle commet une erreur de droit. Doivent entrer dans l’assiette des cotisations non seulement la rémunération (ainsi expressément dénommée) qui est payée en application d’une transaction, mais encore l’indemnité transactionnelle compensant une perte de rémunération. En l’espèce, l’URSSAF faisait pertinemment valoir que l’indemnité correspondait nécessairement, et à tout le moins en partie, à la compensation de rémunérations non perçues. L’argument n’eut pas d’écho  ; reste à savoir pourquoi. Hypothèse improbable car trop heureuse)  : la Cour de cassation renonce à distinguer, même implicitement, entre les préjudices pécuniaires et moraux ; elle pose en principe que la qualification d’indemnité choisie par les parties suffit à provoquer l’exonération. Hypothèse plus vraisemblable au regard de la tournure de l’arrêt : la Cour de cassation se désengage de l’exercice de qualification et reconnaît « souverain » le pouvoir des juges du fond à cet égard.

En troisième lieu – lequel procède certainement du précédent et, donc, de la mansuétude de la cour d’appel –, la Cour de cassation tolère que l’indemnité transactionnelle, dont il est pourtant acquis qu’elle correspond à la réparation de trois préjudices de différentes natures et suivant des régimes différents au regard de l’assujettissement (indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de succès de l’action judiciaire en résiliation, préjudice moral inhérent à la violation de la réglementation du temps de travail, préjudice résultant de la perte de salaire), soit présentée globalement, sans ventilation, et suive un régime uniforme. Il faut se réjouir pour l’employeur concerné, mais vraisemblablement se garder d’en tirer trop de conséquences. Outre que la ventilation est a priori nécessaire pour appliquer correctement le régime social des indemnités versées, elle est aussi une garantie contre les redressements URSSAF en ce qu’elle permet d’objectiver les versements effectués et, partant, de se prémunir du grief de l’abus. Précisément, la solution d’espèce est d’autant plus curieuse que l’abus – à tout le moins son idée – était dans la cause : la cinquième branche du moyen développé par l’URSSAF faisait état du fait que les indemnités transactionnelles payées « étaient deux fois supérieures » à celles demandées devant le conseil de prud’hommes. Autrement dit, jeu classique qui ne saurait être recommandé, les parties avaient, au moment de la transaction, opportunément modifié la structure de l’indemnisation. Ni la cour d’appel, ni la Cour de cassation n’y trouvèrent à redire. C’est curieux.

Retrouvez l'intégralité de l'article de Vincent Roulet dans la Gazette du Palais, n°18 du 24 mai 2022 (abonnés)