Loi de Financement de la Sécurité Sociale pour 2023 : aspects concernant les entreprises


07/03/2023

Vincent ROULET et Nathan SHARMA commentent les principales dispositions de cette loi dans la Gazette du Palais.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 tourne la page du Covid. Les dispositions exceptionnelles n’étant plus nécessaires, et la grande réforme  – celle de la retraite – étant reléguée dans une loi de financement de la Sécurité sociale rectificative, le cru 2023 est quelque peu décevant. Marquée par des dispositions techniques afférentes au recouvrement et par quelques évolutions relatives à la lutte contre la fraude sociale, la loi de financement de la Sécurité sociale n’est, en ce début d’année, qu’un texte parmi d’autres concernant, au sens large, la rémunération et les prélèvements y afférents.

À l’heure où les cris des uns et ceux des autres résonnent dans l’Hémicycle, il faudrait être sourd pour ne pas introduire une chronique annuelle consacrée à la loi de financement de la sécurité sociale (ci-après LFSS) par quelques mots sur… un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. La réforme des retraites en cours de discussion au Parlement devait initialement être tout entière glissée par voie d’amendements dans la LFSS pour 2023 ; pour des raisons de procédure parlementaire – éviter le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur un sujet si sensible –, le gouvernement changea son fusil d’épaule : l’année 2023 à peine débutée, il déposait déjà un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale censé sauver le système de retraite par répartition. Chacun pensera ce qu’il veut de la pertinence de ces nouvelles dispositions – la Gazette du Palais en propose d’ailleurs une intéressante analyse, dans le présent numéro et dans les prochains, sous la plume de Jessica Attali-Colas –, mais il est difficile de se défaire de l’idée qu’il s’agit d’une réforme au rabais, une de ces réformes « paramétriques » bien éloignées du projet fondamental qui s’était perdu dans les limbes de la crise sanitaire, lui aussi victime du Covid. Il y a certes quelques mesures phares – le report de l’âge légal de départ à la retraite, la disparition des principaux régimes spéciaux – mais tout cela ne ressemble en rien à la création d’un régime unique par points, universel (ce qui était, au demeurant, le projet initial de 1945 tué dans l’œuf par un esprit corporatiste si français), écrasant l’ensemble des régimes professionnels, de base ou complémentaires. L’intitulé du projet de loi témoigne lui-même des ambitions perdues : hier un projet de loi « instituant un système universel de retraite », aujourd’hui une triste loi de financement rectificative de la sécurité sociale…

Que cette dernière soit aujourd’hui au cœur des débats ne doit pas faire oublier la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 et sa particularité. Il s’agit d’une « première » loi élaborée dans le cadre des dispositions de la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Celle-ci modifia plusieurs pans de la procédure d’élaboration des LFSS, soit en imposant qu’y soit inscrit un article liminaire présentant « pour l’exercice en cours et pour l’année à venir, l’état des prévisions de dépenses, de recettes, et de solde des administrations de sécurité sociale », soit en élargissant le domaine ou le champ du monopole des LFSS, soit, enfin, en renforçant l’information délivrée aux parlementaires. Surtout, d’un point de vue pratique, la loi organique aligna la date de dépôt du projet de LFSS (PLFSS) sur celle du dépôt du projet de loi de finances, avançant de 15 jours le débutde la procédure parlementaire  : désormais, le PLFSS « est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre » (art. 3). Les esprits chagrins rient peut-être. Les réformes introduites par la loi organique avaient pour ambition de renforcer le rôle des parlementaires dans le pilotage de la sécurité sociale. C’est peu dire qu’à cet égard, cette « première » est un bel échec ! Privé d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, le gouvernement n’eut d’autre alternative que d’user et abuser de l’article 49-3 de la Constitution, privant le Parlement de tout débat ou presque, quoique certains des amendements parlementaires aient été intégrés au texte final.

Adoptée au forceps, la LFSS fut soumise au contrôle du Conseil constitutionnel qui, après avoir longuement examiné les conditions de son adoption pour n’y voir aucune cause de censure générale, déclara inconstitutionnels un certain nombre de cavaliers législatifs (parmi lesquels une mesure qui aurait eu de grandes conséquences, la généralisation de la subrogation de l’employeur pour le versement des indemnités journalières et des congés maternité, paternité et d’adoption), ainsi qu’une disposition qui avait fait grand bruit, la suspension des indemnités journalières de sécurité sociale à la suite d’un arrêt de travail décidé par téléconsultation, sans que l’incapacité physique de travailler ait été ensuite constatée par le médecin traitant ou le médecin ayant déjà reçu l’intéressé depuis moins d’un an (LFSS, art. 101). La mesure n’était pas forcément inopportune au regard de l’objectif – de valeur constitutionnelle – de lutte contre la fraude en matière de Sécurité sociale (cons. 72), mais sa structure fut jugée disproportionnée car, notamment, ne prenant pas en compte l’impossibilité éventuelle pour l’assuré social de consulter un tel médecin à la suite de la téléconsultation (cons. 74). Bref, l’ouvrage pourrait être remis sur le métier.

Approuvée par le Conseil constitutionnel, la LFSS fut publiée. Il ne serait pas tout à fait exact de prétendre qu’elle est le texte majeur de cette nouvelle année concernant les entreprises. De loin, elle paraît noyée par les publications légales et réglementaires réalisées entre les mois de décembre et janvier. Outre l’apport habituel de la loi de finances pour 2023, se trouvent quelques queues de textes afférents aux suites du Covid-19 et à l’activité partielle et quelques nouvelles évolutions dont l’impact sera immédiat pour les entreprises, tel l’arrêté du 31 janvier 2023 fixant les libellés, l’ordre et le regroupement des informations figurant sur le bulletin de paie. L’essentiel de ces dispositions a trait au recouvrement (II) et au contrôle du paiement des cotisations  (III) ; s’ajoutent toutefois quelques mesures incitatives (I).

I. DISPOSITIONS INCITATIVES

Déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires (LFSS, art.  22). La LFSS pour 2023 assouplit les conditions de mise en œuvre de la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires dont profitent, depuis le 1er  octobre 2022, les entreprises employant entre 20 et 249 salariés. Le dispositif, issu de l’article 2 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgences pour la protection du pouvoir d’achat, est inséré à l’article L.  241-18-1 du Code de la sécurité sociale  ; il permet désormais l’imputation de la déduction forfaitaire sur les cotisations dues au titre de l’ensemble de la rémunération, et non seulement des seules majorations de salaires. Par ailleurs, ce dispositif est étendu au rachat de JRTT intervenant jusqu’au 31 décembre 2025.

Secteur agricole  : exonération TO-DE (LFSS, art.  8). L’article 8 de la LFSS pour 2019 avait créé une exonération spéciale de cotisations patronales pour les employeurs du secteur agricole recourant à l’embauche de travailleurs saisonniers. A priori temporaire, l’exonération devait disparaître au 1er janvier 2021 mais fut maintenue au prix de quelques modifications par la LFSS pour  2021. Les circonstances commandaient une nouvelle prolongation jusqu’en 2026.

Revalorisation du plafond forfaitaire d’exonération des titres-restaurants (LF, art. 4). La loi de finances pour 2023 revalorise le plafond forfaitaire d’exonération des titresrestaurants. Ce dernier passe de 5,69 € à 6,50 € par titre. Pour être exclu de l’assiette des cotisations, l’avantage doit remplir la double condition du plafond forfaitaire de 6,50 € et du plafond de prise en charge par l’employeur du titre-restaurant de 50 à 60 % de la valeur du titre.

Exonération de forfait social de l’abondement du plan d’épargne entreprise (PEE) jusqu’en 2023 (LF, art. 107). La loi de finances pour 2023 prolonge l’exonération de forfait social sur l’abondement du PEE jusqu’en 2023, à condition que « l’entreprise abonde la contribution versée par le salarié (…) pour l’acquisition d’actions ou de certificats d’investissement émis par l’entreprise ou par une entreprise incluse dans le même périmètre de consolidation » (8). Activité partielle. L’activité partielle a fait l’objet de quelques adaptations en marge de la loi de financement de la sécurité sociale. D’abord, la loi de finances pour 2023 pérennise la faculté de recours à l’activité partielle pour les entreprises dépourvues d’établissement en France mais employant des salariés sur le territoire national, ainsi que pour certains employeurs de droit public. Ensuite, le décret n° 2022-1665 du 27 décembre 2022 (9) a fixé définitivement le plancher d’indemnité d’activité partielle pour les salariés à temps partiel et intérimaires au niveau du SMIC. Parallèlement, les taux horaires minimaux ont été revalorisés par le décret n° 2022-1632 du 22 décembre 2022 (10) à 8,03 € ou 8,92 € dans le cadre de l’activité partielle de longue durée.

II. RECOUVREMENT

Déclaration sociale nominative (DSN) (LFSS, art.  6 et 7). La LFSS contient différentes mesures complétant le fonctionnement actuel de la DSN. Est d’abord modifié l’article L. 133-5-3-1 du Code de la sécurité sociale afin de permettre aux organismes destinataires (l’URSSAF ou la MSA) de réaliser eux-mêmes les corrections à la suite des vérifications auxquelles ils procèdent à réception de la DSN. La loi prévoit ensuite que, à compter du 1er janvier 2024, les employeurs déclareront le versement des revenus de remplacement à leurs salariés ou anciens salariés via la DSN (CSS, art. L. 133-5-3). Enfin, l’article 7 de la LFSS étend au domaine social les fonctions de la déclaration « prélèvement à la source pour les revenus autres » (PASRAU) à laquelle sont tenues les personnes versant des revenus de remplacement.

Recouvrement des cotisations de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO (LFSS, art. 7). Après avoir récupéré la collecte des cotisations aux régimes de base et complémentaire de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance-vieillesse ou CIPAV (LFSS pour  2022, art. 12), l’URSSAF échoue à se saisir du recouvrement de la retraite complémentaire des salariés. D’abord prévu pour le 1er janvier 2022, puis décalé au 1er janvier 2023, la LFSS pour 2023 opérait un nouveau report du transfert des cotisations au 1er janvier 2024 (art. 7). Les différents reports s’expliquaient officiellement par des difficultés d’ordre technique, quoique l’hostilité des partenaires sociaux gestionnaires du régime complémentaire était de notoriété publique. Du reste, seulement 17 jours après la promulgation de la LFSS pour 2023, la Première ministre Elisabeth Borne annonça, lors d’une conférence de presse, que le projet de recouvrement des cotisations de retraite complémentaire était abandonné. L’exposé des motifs du PLFSS rectificative pour 2023 justifie ce retrait par, d’une part, les inquiétudes des partenaires gestionnaires du régime et, d’autre part, par « le lien fait par certains acteurs entre ce projet et les enjeux propres à la réforme des retraites ». Pourtant prévu, le transfert du recouvrement des caisses gérées par la Caisse des dépôts et consignations est, quant à lui, reporté à 2025.

III. CONTRÔLE

Contrôle dans le cadre d’un groupe de sociétés (LFSS, art. 6). Interprétant strictement les dispositions de l’article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale, la Cour de cassation jugeait, hors l’article L. 114-19 du Code de la (11) L. n° 2019-1446, 24 déc. 2019, de financement de la sécurité sociale pour 2020, art. 18, XII, 3°. (12) D. n° 2021-1532, 26 nov. 2021, relatif aux modalités de transfert du recouvrement des cotisations destinées au financement du régime de retraite complémentaire obligatoire mentionné à l’article L. 921-4 du Code de la sécurité sociale: JO, 28 nov. 2021. sécurité sociale, que « les agents de contrôle ne peuvent recueillir des informations qu’auprès des personnes contrôlées et des personnes rémunérées par celle-ci ». Elle en déduisait que l’URSSAF ne pouvait procéder au redressement d’une société appartenant à un groupe en se fondant sur des documents obtenus d’autres sociétés du même groupe. Le principe est renversé par le nouvel article L. 243-7-4 du Code de la sécurité sociale qui autorise les agents en charge du contrôle à «  utiliser les documents et informations obtenus lors du contrôle de toute personne appartenant au même groupe que la personne qu’il contrôle ». Le texte renvoie aux articles L. 233-1 et L. 233-3 du Code de commerce pour la définition du « groupe » ; il prévoit un droit d’information de la personne contrôlée sur la « teneur et l’origine des documents ou informations » utilisés et, enfin, il annonce un décret encadrant cette utilisation.

Durée du contrôle dans les entreprises de moins de 20 salariés (LFSS, art. 6). Issue d’une expérimentation prévue par l’article 33 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (ou loi Essoc), la réduction de la durée du contrôle URSSAF des entreprises de moins de 20 salariés est pérennisée par la LFSS pour 2023. Les trois mois impartis courent du début effectif du contrôle jusqu’à la réception de la lettre d’observations. Toutefois, plusieurs cas de figure permettent à l’Administration de s’affranchir de cette limite : les situations de travail dissimulé, d’obstacle à contrôle, d’abus de droit, ou en cas de constat d’une comptabilité insuffisante ou d’une documentation inexploitable ou transmise plus de 15 jours après la réception de la demande faite par l’agent. Par là même, toute demande de report d’une visite de l’agent par la personne contrôlée autorise les URSSAF à dépasser la durée de trois mois.

Travail dissimulé (LFSS, art. 6). Afin de faciliter le recouvrement des cotisations en cas de travail dissimulé, la LFSS pour  2023 réaménage l’exécution des sanctions appliquées au donneur d’ordre ayant manqué à son obligation de vigilance. D’une part, celui-ci bénéficie désormais de la réduction de 10 points du taux des majorations prévues en cas de règlement des sommes dues dans un délai de 30  jours à compter de la notification de la mise en demeure (CSS, art. L. 243-7-7, II). D’autre part, un double plafond est institué quant au montant de l’annulation des réductions et exonérations de cotisations de sécurité sociale encourues (CSS, art. L. 133-4-5). Une première infraction constatée sur une période de 5 années permet de bénéficier d’un plafond de 15 000 € ; ce plafond est porté à 75 000 € en cas de récidive.