Pas d’obligation de consulter le CSE en cas d’avis d’inaptitude à tout poste rendu par le médecin du travail.


16/06/2022

Guillaume Brédon et Dorine Dollo commentent dans ActuEL RH la décision de la Cour de cassation du 8 juin dernier.

"A l’inutile, ni l’employeur, ni le CSE ne sont tenus" (selon les termes du professeur de droit Grégoire Loiseau). C’est en ce sens que l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 juin dernier met fin aux débats sur la question de savoir si l’employeur est tenu de consulter les représentants du personnel lorsque le médecin du travail considère qu’un salarié est inapte à tout poste.  

Rappel

Pour rappel, alors qu’avant l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 août 2016 l’employeur avait l’obligation systématique de rechercher des solutions de reclassement lorsqu’un salarié était déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail, il n’est désormais plus tenu d’une telle obligation dès lors que le médecin du travail mentionne expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (articles L.1226-10 et R.4624-42 du code du travail).

Le législateur avait également profité de cette réforme pour généraliser l’obligation de consulter le CSE en cas d’inaptitude constatée par le médecin du travail afin de recueillir son avis à la suite du constat d’inaptitude et avant toute proposition de reclassement et ce, que l’inaptitude soit d’origine professionnelle ou non, étant précisé que le sens de cet avis est sans conséquence sur le respect par l’employeur de son obligation de reclassement (articles L.1226-6 et L.1235-31 du code du travail et arrêt du 6 mai 2015).

L’application simultanée de ces différents textes a inévitablement conduit les juges du fond à devoir s’interroger sur l’obligation mais également l’opportunité d’une telle consultation dans l’hypothèse où le médecin du travail mentionne expressément que le salarié est inapte à tout poste.

Les faits

Tel était justement la problématique visée dans l’arrêt commenté. La requérante avait été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail qui avait précisé dans son avis d’inaptitude que l’état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. La salariée avait donc été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement sans que les délégués du personnel n’aient été consultés, l’employeur estimant qu’en l’absence d’obligation de rechercher une solution de reclassement, il n’était pas davantage tenu de consulter les représentants du personnel à ce sujet.

Déboutée par le conseil de prud’hommes, la requérante a fait appel considérant que le défaut de consultation des délégués du personnel était bel et bien constitutif d’une irrégularité dans la procédure de licenciement dont elle avait fait l’objet.

La cour d’appel a infirmé le jugement rendu par le conseil de prud’hommes au motif qu’il résultait des articles L.1226-2 et L.1226-10 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi du 8 août 2016 que la consultation devait être effectuée même en l’absence de possibilité de reclassement. L’employeur s’est donc pourvu en cassation afin que la Haute juridiction puisse trancher le débat.

La position de la Cour de cassation

En effet, malgré le fait que le législateur et la Cour de cassation font de cette obligation de consultation une formalité substantielle en affirmant que la méconnaissance par l’employeur de cette dernière emporte les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L.1226-15 du code du travail et arrêt du 30 septembre 2020), plusieurs cours d’appel avaient déjà pu considérer que dans une telle hypothèse la consultation n’avait plus d’objet.

Il en est ainsi par exemple pour la cour d’appel de Riom qui a considéré, dans un arrêt du 3 avril 2018 (en pièce jointe), que dans une telle situation "la consultation du comité social et économique n’est pas fondée", mais aussi pour la cour d’appel d’Orléans qui a adopté le même raisonnement, dans un arrêt du 13 avril 2021 (en pièce jointe), en affirmant que "cette obligation de consulter les délégués du personnel n’a plus d’objet si l’avis du médecin du travail est que le reclassement est impossible".

Enfin, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 9 avril 2021 (en pièce jointe), s’est également prononcée cette fois-ci en soulignant l’incohérence d’une telle obligation au regard de l’impossibilité, en termes de compétences, pour le comité social et économique de se prononcer en contradiction avec le médecin du travail. Elle affirmait en ce sens qu’il "importe peu que le CSE n’ait pas été consulté préalablement au licenciement dans la mesure où, compte tenu de l’avis du médecin du travail visant expressément l’impossibilité de reclassement, ce comité n’avait pas compétence pour remettre en cause l’appréciation du médecin". 

Saisie de cette question, la Cour de cassation n’a donc pas hésité à affirmer que "lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi, l’employeur, qui n’est pas tenu de rechercher un reclassement, n’a pas l’obligation de consulter les délégués du personnel". 

La solution adoptée - qui est selon nous transposable au comité social et économique - apparaît donc cohérente notamment au regard de la finalité d’une telle consultation mais également au regard des compétences respectives des parties impliquées dans le processus de recherche de reclassement préalable au licenciement pour inaptitude. 

Il convient toutefois de préciser que cette solution n’est pas transposable à la situation dans laquelle l’avis d’inaptitude ne vise qu’un poste spécifique et que l’employeur se trouve face à l’impossibilité d’effectuer des propositions de reclassement au salarié. Dans ces conditions, la consultation du CSE reste obligatoire (arrêt du 30 septembre 2020).