Refuser de renouveler le détachement d’un fonctionnaire


26/04/2023

 de nouvelles conséquences d’importance pour l’entreprise d’accueil - un article à retrouver dans la revue ACTUEL RH du 26/04/2023

Si, jusqu’à présent, le refus de renouveler le détachement d’un fonctionnaire n’avait aucune conséquence pour l’organisme d’accueil, cela est appelé à changer, explique Angélique Eyrignoux, avocate associée au sein d'Edgar avocats. Dans une décision du 8 mars 2023, la Cour de cassation indique que désormais, un nouveau critère doit être apprécié, celui de la discrimination. Ce critère peut avoir une incidence sur les conditions d’indemnisation d’une fin de contrat d’un fonctionnaire intervenue à l’expiration de son détachement mais aussi sur son éventuel retour dans les effectifs de l’entreprise d’accueil.

Pendant la durée de son détachement dans le secteur privé, le fonctionnaire est un salarié de droit privé comme les autres ou presque

Pour rappel, le détachement d’un fonctionnaire implique l’intervention de trois acteurs : le fonctionnaire, son administration d’origine et l’employeur d’accueil qui peut être une autre administration ou bien un employeur de droit privé. Lorsque le détachement s’effectue auprès d’un employeur du secteur privé, le fonctionnaire bénéficie pour la durée du détachement d’un contrat de travail de droit privé (en principe, un CDI). Pendant, l’exécution de ce contrat, l’ensemble des règles qui encadrent la relation juridique entre un salarié de droit privé et son employeur est applicable. Seules les modalités de rupture et de fin de contrat peuvent varier.

A l’issue de la durée du détachement, le fonctionnaire ne peut percevoir aucune indemnité de fin de contrat

A l’issue de la période de détachement, le CDI prend fin. Les employeurs d’accueil du secteur privé peuvent être amenés à verser une indemnité mais il ne s’agit pas d’une obligation légale. Au contraire, l’article L. 513-3 du code général de la fonction publique prévoit qu’à la fin du détachement intervenu au terme de la durée initialement prévue, le fonctionnaire réintègre son administration d’origine, aucune indemnité n’est due (ni indemnité de licenciement, ni toute indemnité de départ ou de fin de carrière).

Le régime est différent si le fonctionnaire-salarié est licencié en cours de détachement et que l’initiative provient de l’employeur d’accueil. Dans ce cas, des indemnités peuvent être dues (cour d'appel de Paris, 19 décembre 2018, Mme X c/ Association Y, n° 16/03531). En tout état de cause, une fois la durée de détachement venue au terme prévu, si l’agent n’a pas demandé le renouvellement, il réintègre son administration d’origine sans indemnisation.

En revanche, si le fonctionnaire a demandé son renouvellement et que cela est accepté par l’employeur d’accueil, le détachement peut être renouvelé par l’autorité administrative si elle en est d’accord et le fonctionnaire poursuit son CDI de droit privé auprès de l’employeur d’accueil. Par contre, si la demande de renouvellement n’est pas acceptée par l’employeur d’accueil, le fonctionnaire salarié réintègre son administration d’origine sans indemnisation. Cette position a été clairement affirmée par la Cour de cassation qui justifie l’absence d’indemnisation par la réintégration obligatoire du fonctionnaire dans son administration d’origine au terme du détachement et par l’absence de licenciement imputable à l’employeur d’accueil (arrêt du 13 novembre 2012).

Pour demander un renouvellement, l’agent public doit anticiper et faire connaître sa décision de demander son renouvellement trois mois au moins avant l’expiration du détachement. De son côté, l’employeur d’accueil fait connaître au fonctionnaire et à l’administration d’origine au moins deux mois avant le terme de la période de détachement sa décision de renouveler ou non le détachement (ces délais sont prévus à l’article 22 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires d’Etat, à la mise à disposition, à l’intégration et à la cessation définitive de fonctions et à l’article 17 du décret n° 88-976 du 13 octobre 1988 relatif au régime particulier de certaines positions de fonctionnaires hospitaliers, à l’intégration et à certaines modalités de mise à disposition, aucune précision n’est apportée pour la fonction publique territoriale).

C’est précisément, dans cette configuration que la décision de la Cour de cassation du 8 mars 2023 est intervenue. Dans cette affaire, il s’agissait d’un fonctionnaire de la Cour des comptes en position de détachement auprès de l’établissement public industriel et commercial (EPIC) Réseau Ferré de France (RFF). Il a bénéficié d’un CDI de droit privé avec RFF à compter du 1er juillet 2010, puis du 1er juillet 2012 au 1er juillet 2015 et enfin pour 6 mois de plus jusqu’au 31 décembre 2015. Alors qu’il était en CDI dans son emploi de détachement, ce fonctionnaire-salarié a été reconnu en affection de longue durée et a fait l’objet de plusieurs arrêts maladie. Transféré de RFF vers SNCF Réseau en application de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, SNCF Réseau a indiqué à ce fonctionnaire qu’elle n’entendait pas solliciter le renouvellement du détachement une fois venu à terme. Le refus de l’employeur d’accueil d’accepter de renouveler le détachement suffit à y mettre fin sans aucune indemnité pour l’intéressé.

Cependant, le fonctionnaire salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour contester la fin de son contrat et solliciter des dommages et intérêts. Il soutenait que le refus de renouvellement opposé par RFF et la rupture du contrat qui en a découlé étaient motivés par son état de santé, ce qui est discriminatoire. La Cour de cassation a rejeté la demande du fonctionnaire salarié considérant qu’aucune discrimination n’était établie, mais elle a retenu l’argument. Elle a jugé que le refus par l’organisme d’accueil de solliciter le renouvellement du détachement ne peut être fondé sur un motif discriminatoire au sens de l’article L. 1132-1 du code du travail.

La Cour de cassation reconnaît expressément au fonctionnaire-salarié un droit à indemnisation en cas de discrimination

Alors que, jusqu’à présent, l’expiration d’un détachement non renouvelé impliquait le départ du fonctionnaire de la structure d’accueil et sa réintégration dans l’administration d’origine sans indemnisation, la Cour de cassation précise le régime. Elle étend au refus de renouvellement d’un détachement, l’application de l’article L. 1132-1 du code du travail selon lequel aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire que ce soit lors du recrutement, pendant la relation de travail ou lors de la rupture, ce qui est nouveau.

Désormais, lorsque le salarié dont le renouvellement du détachement a été refusé par l’employeur d’accueil, présente plusieurs éléments qui constituent selon lui une discrimination, il incombe à l’employeur de prouver que le refus de renouvellement est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. A défaut, le fonctionnaire salarié dispose d’un droit à indemnisation au même titre que tout autre salarié de l’entreprise dans une situation comparable. Il est ainsi reconnu que la fin du CDI et la réintégration automatique de l’agent au sein de son administration d’origine à l’issue du détachement ne le prive pas de toute action en discrimination contre l’employeur d’accueil, ce qui est nouvellement affirmé par la Cour de cassation.

Il s’agit là d’une évolution jurisprudentielle notable. Désormais, en cas de refus de renouvellement opposé par l’employeur d’accueil, un droit à indemnisation est reconnu au fonctionnaire-salarié (si la discrimination est établie). Il est donc reconnu que l’employeur d’accueil qui refuse le renouvellement est à l’origine du départ du salarié, qu’il en est donc responsable et qu’il est redevable d’une indemnisation en cas de motif discriminatoire.

De plus, cette jurisprudence emporte une seconde conséquence pour l’employeur d’accueil, celle de voir le refus de renouvellement de détachement déclaré nul.

Le refus du renouvellement du détachement opposé par l’employeur d’accueil pourra désormais être déclaré nul par le juge judiciaire ce qui peut avoir une conséquence sur le montant de l’indemnisation désormais due et aussi sur la réintégration éventuelle de ce salarié dans la structure d’accueil

Puisque la Cour de cassation étend l’application de l’article L. 1132-1 du code du travail au refus de renouvellement de détachement, en principe, l’article L. 1132-4 du code travail devient lui aussi applicable. Cet article L. 1132-4 prévoit que 'toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre ou du II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est nul". Il en résulte qu’en présence d’un cas de discrimination constaté par le juge, le refus de renouvellement du détachement opposé par l’employeur d’accueil devrait être considéré comme nul.

D’abord, si le refus de renouvellement est frappé de nullité, cela pourra avoir une incidence certaine sur le montant de l’indemnisation due. Même si cela restera à déterminer par le contentieux à venir, le fonctionnaire-salarié pourrait prétendre à une indemnisation indexée sur la période d’éviction, c’est-à-dire de la date de fin de détachement à la date à laquelle le juge judiciaire aura définitivement statué sur la nullité.

Ensuite, en pratique, la nullité du refus de renouvellement n’impliquera pas automatiquement le retour du fonctionnaire-salarié dans la structure d’accueil. En effet, toute prolongation de détachement doit faire l’objet non seulement de l’accord de la part de l’organisme d’accueil mais aussi et surtout d’une nouvelle décision d’autorisation de la part de l’administration d’origine.

A défaut de décision administrative prolongeant le détachement, ce dernier ne peut pas être poursuivi, le fonctionnaire réintègre et reste dans son administration d’origine. En revanche, si l’administration d’origine adopte une décision de renouvellement de détachement en présence d’un refus de renouvellement nul, le CDI conclu entre le fonctionnaire salarié et l’employeur d’accueil pourrait a priori se poursuivre. Cette hypothèse qui reste peu probable est néanmoins désormais possible.