Rupture conventionnelle : preuve de la situation du salarié au regard du droit à la retraite


14/12/2021

Vincent Roulet revient sur un arret du 23 septembre 2021 dans lequel la Cour de cassation a affirmé que les juges du fond ne peuvent exiger de l’employeur que celui-ci présente le certificat de la CARSAT pour prouver la situation des salariés bénéficiaires d’une rupture conventionnelle au regard du droit à la retraite.

Cass. 2e civ., 23 sept. 2021, n°19-25455


Les sommes versées dans le cadre d’une rupture conventionnelle sont assujetties à cotisations sociales et autres prélèvements dans des conditions particulières. En principe, certes elles échappent aux cotisations proprement dites dans la limite classique de deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale ; elles subissent toutefois intégralement le forfait social dans cette même limite et la CSG/CRDS sur leur fraction supérieure à l’indemnité spécifique de rupture minimale . Néanmoins, pensant certainement éviter par-là que de vieux salariés et d’opportunistes employeurs profitassent ensemble d’un effet d’aubaine pour verser, sous la forme d’indemnités spécifiques de rupture, des indemnités de départ en retraite – lesquelles sont assujetties dans les conditions de droit commun applicables au salaire – ou des indemnités de mise à la retraite – lesquelles sont exonérées de cotisations de sécurité sociale et de CSG/CRDS dans les conditions de droit commun (à la nuance de l’absence d’application de l’abattement pour frais professionnel), mais assujetties, pour leur fraction ainsi exonérée, à une contribution patronale spécifique au taux de 50 % –, le législateur écarta l’avantage ainsi octroyé dès lors que le bénéficiaire est « en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire ». Certainement par souci de clarté, l’exception fut introduite par la bande. Le Code de la sécurité sociale n’en souffle mot ; il faut, pour la retrouver, se souvenir d’abord que, d’une manière générale, les indemnités de rupture ne bénéficient d’exonération de cotisations de sécurité sociale qu’autant qu’elles sont exonérées d’impôt sur le revenu et, ensuite, retrouver l’exclusion dans le Code général des impôts.


La règle de droit brillant par son intelligibilité, il fallait que son application fût pareillement limpide. Or si la notion même « d’être en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire » ne soulève guère de difficulté, les conditions dans lesquelles une telle situation peut être caractérisée sont pour le moins complexes. Il y a les cas de figure simples – lorsque le bénéficiaire a franchi l’âge légal de départ à la retraite (62 ans) – et il y a les autres, à propos des salariés plus jeunes : des départs anticipés en retraite sont possibles, soit que l’intéressé a commencé sa carrière jeune (carrière longue), soit qu’il est handicapé, soit qu’il peut se prévaloir de la retraite anticipée pour pénibilité du travail. L’âge donc, critère rapidement accessible à l’ensemble des parties prenantes, n’est pas déterminant au regard de l’exigence légale. Ne saurait davantage permettre efficacement de vérifier cette dernière le constat, a posteriori, de la liquidation de la pension de retraite : l’ouverture du droit à la retraite n’implique pas l’obligation de liquider. S’esquissait alors la question, ô combien importante, de la preuve de la situation du bénéficiaire ; l’Administration y fit vaillamment face. La Direction de la sécurité sociale, après avoir exclu, par principe et avec raison, toute exonération dès lors que le bénéficiaire avait atteint l’âge légal de départ en retraite, décida que, s’agissant des salariés de plus de 55 ans potentiellement concernés par un dispositif de retraite anticipé, l’employeur doit être en mesure de « présenter à l’agent chargé du contrôle un document relatif à la situation du salarié au regard de ses droits à retraite de base » . Trop simple. L’Accos, diffusant la doctrine ministérielle, transforma cette dernière : le document relatif à la situation du salarié devait « attest[er que le salarié] ne peut prétendre à la liquidation d’une pension » . Ces quelques mots changeaient tout en pratique. Alors que la position ministérielle permettait de rapporter relativement aisément la preuve de la situation de l’intéressé en présentant, d’une part, le relevé de carrière facilement accessible et, d’autre part, l’absence de droit à un dispositif de retraite anticipé en miroir des exigences légales, l’Acoss exigeait de l’employeur qu’il obtînt du salarié que celui-ci obtînt de la CARSAT (et pas seulement de l’organisme gestionnaire de retraite apparent car il ne pouvait être exclu que l’intéressé fut éligible à un autre régime) un document mentionnant expressément l’absence de l’ouverture du droit à la retraite. Or c’est peu dire qu’il n’y a rien d’aisé à obtenir un tel document : le salarié peut se perdre dans sa demande et, surtout, sa délivrance n’est pas le rôle de la CARSAT qui, du reste, s’y refusa rapidement. Débuta le feuilleton jurisprudentiel. Accrochées à la position de l’Acoss, de nombreuses URSSAF procédèrent à la réintégration, dans l’assiette des cotisations, des indemnités spécifiques de rupture versées à des salariés de plus de 55 ans, au seul prétexte que l’employeur était dans l’impossibilité de fournir une attestation de l’organisme gestionnaire du régime. C’est peu dire que les URSSAF ne triomphèrent pas : d’une manière quasi unanime, les cours d’appel, rappelant que la preuve d’un fait juridique se rapporte par tout moyen , rejetèrent cette exigence et refusèrent de confirmer les redressements assis exclusivement sur l’absence d’attestation CARSAT. Elles admirent que l’employeur démontre par tout moyen qu’il bénéficie des exonérations. Il s’en trouva cependant certaines qui succombèrent maladroitement dans des espèces tangentes, au risque d’être censurées, comme en l’espèce, par la Cour de cassation.


L’URSSAF avait réintégré dans l’assiette des cotisations les sommes versées à quatre salariés âgés de plus de 56 ans étant entrés dans la vie active à l’âge de 16 ans et pour lesquels l’employeur n’avait pas été en mesure de présenter le certificat émis par la CARSAT ni même un relevé de carrière. La cour d’appel avait approuvé le redressement, tout en ajoutant à sa motivation que, eu égard aux circonstances, seul cet état des droits à pension de chacun des salariés dressé par la CARSAT était de nature à établir leur situation à l’égard de la retraite. La cour en déduisait qu’il incombait à l’employeur, en amont de la conclusion de la rupture conventionnelle, de solliciter ce document auprès des salariés.


La décision est cassée, sans surprise du reste, car la Cour de cassation s’était déjà prononcée dans des circonstances similaires . La portée de la cassation mérite toutefois l’attention. Plus claire que dans sa précédente décision, la Cour de cassation étaye en effet son raisonnement et, pour ce faire, rappelle expressément qu’il découle des articles L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, 80 duodecies du Code général des impôts et 1315 ancien du Code civil ( nouv.) qu’il « appartient à l’employeur de faire la preuve par tout moyen que le salarié bénéficiaire n’est pas en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire ». Il s’en déduit que le reproche adressé à la cour d’appel – reproche qui se traduit par une cassation pour violation de la loi – est d’avoir jugé que seul le certificat de la CARSAT constituait une preuve admissible, et non le
principe même de la confirmation du redressement.

La suite de l'article de Vincent Roulet à retrouver dans la Gazette du Palais n°43  - décembre 2021